Au-delà de son rôle dans l’humeur et la productivité, le sommeil est essentiel au maintien d'une bonne santé physique et du bien-être1. Pendant cette période de repos, le corps passe à un état anabolique afin de restaurer ses nombreux systèmes (tels que les systèmes endocrinien, immunitaire et nerveux) et de promouvoir la croissance, la réparation et la régénération de ses cellules et tissus2,3. Les mécanismes exacts par lesquels le sommeil exerce ses fonctions bénéfiques ne sont pas entièrement compris, mais ses effets sur la santé sont bien documentés3. À cet égard, un sommeil insuffisant ou peu réparateur a été associé à un risque accru de nombreux problèmes de santé chroniques tels que les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2, l’obésité et la dépression1.
Le sommeil : un aperçu
Il est recommandé aux adultes de dormir au moins 7 heures par nuit, mais la durée optimale du sommeil peut varier d’une personne à l’autre1,4. Malheureusement, les données indiquent qu’au Canada, 1 adulte sur 3 n’atteint pas la recommandation minimale quant au sommeil5. De plus, 43 % des hommes et 55 % des femmes signalent des troubles du sommeil, par exemple de la difficulté à trouver ou à maintenir le sommeil5. Chez les enfants et les adolescents, la durée du sommeil recommandée est plus élevée : 9 à 11 heures par nuit pour les enfants (5 à 13 ans) et 8 à 10 heures par nuit pour les adolescents (14 à 17 ans)6. D’ailleurs, le sommeil est aussi un sujet de préoccupation chez les enfants canadiens, puisqu’environ 1 enfant sur 4 ne satisfait pas aux directives minimales en matière de sommeil6.
Certaines recommandations générales ont été formulées pour aider à améliorer le sommeil :
- Maintenir un horaire de sommeil régulier tout au long de la semaine1;
- Veiller à ce que la chambre à coucher soit calme et sombre pendant la nuit1;
- Retirer les appareils électroniques, comme les téléviseurs ou les ordinateurs, de la chambre à coucher1;
- Faire régulièrement de l’activité physique1;
- Prendre le temps de se détendre avant le coucher (et éviter d’utiliser des écrans une heure avant de se mettre au lit)7;
- Éviter les repas copieux, la caféine ou l’alcool avant le coucher1.
Le sommeil et l’alimentation
On s’intéresse de plus en plus à la relation complexe entre l’alimentation et le sommeil. À ce sujet, les données préliminaires suggèrent que le sommeil a un impact sur l’alimentation et que les comportements alimentaires pourraient affecter le sommeil8,9. Un sommeil insuffisant ou de mauvaise qualité a été associé à une augmentation de l’apport alimentaire et à une alimentation de moins bonne qualité, tant chez les enfants que chez les adultes. Cette association serait due à l’impact du sommeil sur les hormones (notamment les hormones de la faim et de la satiété), le métabolisme et le comportement8-12.
Des données émergentes indiquent maintenant que certains comportements et choix alimentaires pourraient contribuer à améliorer le sommeil nocturne8-12. Les recherches sur la nutrition et le sommeil portent non seulement sur la composition de l’alimentation, mais aussi sur le moment de l’apport alimentaire relativement à l’horloge interne du corps, un domaine d’étude en pleine évolution appelé « chrononutrition ».
Il est recommandé d’adopter de saines habitudes de vie, notamment de faire régulièrement de l’activité physique et d’avoir une alimentation équilibrée, pour favoriser un sommeil sain13. Les résultats d’études antérieures suggèrent que certains modèles d’alimentation pourraient être associés à un meilleur sommeil10. À titre d’exemple, le régime méditerranéen est un modèle d’alimentation qui s’est révélé prometteur en tant qu’approche complémentaire pour améliorer le sommeil14,15. À l’heure actuelle, les données indiquant quels modèles d’alimentation modulent le sommeil ne sont toutefois pas assez robustes pour formuler des recommandations officielles en lien avec le sommeil10.
Certains aliments, comme les cerises acides, les kiwis et le lait, ont également été étudiés pour leurs propriétés favorisant le sommeil en raison de leur teneur en certains éléments nutritifs et composés clés10.
Les produits laitiers et le sommeil : aperçu
Les produits laitiers, en particulier le lait, sont souvent décrits comme des aliments « favorisant le sommeil4,10,16 ». Plus particulièrement, certaines personnes conseillent depuis des années de boire un verre de lait chaud pour favoriser le sommeil. Pour cette raison, la recherche scientifique a tenté d’élucider cette association de longue date entre les produits laitiers et le sommeil.
Dans une revue systématique de 14 études menée en 2020 et regroupant plus de 10 000 participants, les chercheurs ont noté que de nombreux produits à base de lait ont été associés à de modestes effets favorables sur la qualité du sommeil (efficacité, durée et latence du sommeil, et réveils pendant la nuit)17. Cependant, en plus d’être disponibles en nombre limité, ces conclusions ont principalement été obtenues en utilisant des produits laitiers enrichis en composés clés tels que le tryptophane. Par conséquent, ces résultats pourraient ne pas être généralisables aux produits laitiers ordinaires, comme le lait. Actuellement, les données sur l’impact du lait ordinaire sur le sommeil sont peu nombreuses, et aucune recommandation ne peut en être émise.
Une étude transversale de 2014 portant sur 421 adultes japonais a examiné les associations entre l’activité physique, la consommation de produits laitiers et les difficultés d’endormissement18. Les résultats ont montré que les participants qui consommaient plus de lait, en particulier ceux qui faisaient également régulièrement de l’activité physique, étaient moins susceptibles d’avoir de la difficulté à s’endormir.
Bien que certaines études aient produit des résultats prometteurs, les données issues d’études à grande échelle ou expérimentales qui soutiennent les propriétés favorisant le sommeil des produits laitiers restent limitées.
Les produits laitiers et le sommeil : mécanismes potentiels
Diverses hypothèses ont été émises sur le rôle que jouent plusieurs propriétés des produits laitiers dans le sommeil, comme une teneur élevée en tryptophane, la présence d’acide gamma-aminobutyrique (GABA) dans les produits laitiers fermentés et la présence de plusieurs composés qui pourraient interagir avec le microbiome (axe cerveau-intestin-microbiome)17-23.
L’alpha-lactalbumine, une protéine présente dans le lait, contient un niveau élevé de tryptophane, un acide aminé et un précurseur de la mélatonine, l’hormone du sommeil19. En fait, parmi les aliments couramment consommés, l’alpha-lactalbumine est celui qui contient le plus haut niveau de tryptophane19. D’ailleurs, certaines études préliminaires suggèrent que la consommation d’alpha-lactalbumine avant le coucher pourrait améliorer la qualité du sommeil20,21. Cependant, plus d’études sont nécessaires pour clarifier cette relation et la quantité nécessaire pour obtenir des propriétés bénéfiques. La quantité requise pourrait en effet dépasser le niveau naturellement contenu dans le lait. De plus, l’absorption du tryptophane par le cerveau augmente avec la glycémie, la quantité de glucides nécessaire pour optimiser l’absorption et améliorer le sommeil demeure inconnue7.
Certaines souches probiotiques contenues dans les produits laitiers fermentés, par exemple Lactobacillus spp., produisent du GABA, une substance qui est également générée par le cerveau des mammifères pendant le sommeil22. Le GABA agit comme un messager chimique qui inhibe l’activité neuronale dans le cerveau, régule la fréquence cardiaque et favorise le sommeil22,23. Le rôle du GABA dans le sommeil est relativement bien compris. Cependant, les effets de la consommation orale de GABA chez l’humain (par des aliments qui en contiennent ou sous forme de suppléments) ne sont pas bien documentés22.
Finalement, les produits laitiers sont riches en une variété de composés uniques qui pourraient conférer des propriétés bénéfiques sur le microbiome par l’intermédiaire de diverses voies physiologiques complexes, par exemple la membrane du globule gras laitier et la lactoferrine23. Des données scientifiques émergentes indiquent que ces composés bioactifs pourraient contribuer à accroître la résistance aux troubles du sommeil causés par le stress en favorisant l’équilibre du microbiome23. Bien qu'un bon nombre de ces composés aient produit des résultats prometteurs dans des études antérieures, d’autres études de meilleure qualité chez les humains sont nécessaires pour en tirer des conclusions.
Références
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