Repenser le gras laitier et les maladies cardiovasculaires : données issues d’une revue d’experts

Un rapport d’experts internationaux en nutrition, qui résume les données actuelles sur le gras laitier et la santé cardiovasculaire, met en lumière l’absence de fondement scientifique pour recommander les produits laitiers faibles en gras plutôt que leurs équivalents à teneur régulière. S’appuyant sur des données robustes, il remet en question la recommandation de longue date qui consiste à limiter le gras laitier et appelle à une transition vers des recommandations alimentaires qui prennent en compte les aliments entiers dans leur contexte, plutôt que les nutriments de manière isolée.

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La recommandation de longue date qui consiste à limiter l’apport en gras saturés, typiquement à moins de 10 % de l’apport énergétique total, est de plus en plus remise en question, car des données scientifiques émergentes remettent en cause son fondement scientifique – en particulier dans le contexte du gras laitier et de sa relation avec le risque de maladies cardiovasculaires (MCV).

Afin de se pencher sur la relation complexe entre le gras laitier et le risque de MCV, un atelier de haut niveau a été organisé en 2024 ralliant un panel d’experts internationaux en nutrition. Tiré du résumé produit après l’atelier, le présent texte fait état des données actuelles issues d’études épidémiologiques, mécanistes et cliniques; explore le point de vue des experts sur le rôle des produits laitiers à pleine teneur et à faible teneur en gras dans les lignes directrices en matière d’alimentation; et met en évidence les lacunes dans la recherche sur l’impact du gras laitier sur la santé1.

Afin d’en assurer la clarté et la cohérence, le résumé d’expert a retenu les définitions suivantes, puisque la classification des produits laitiers à pleine teneur et à faible teneur en gras varie d’une étude ou d’un pays à l’autre :

  • Produits laitiers à faible teneur en gras : Produits généralement reconnus comme ayant une teneur réduite en gras selon la plupart des lignes directrices en matière d’alimentation (p. ex. le lait contenant 2 % de matières grasses ou moins, le yogourt contenant environ 3 % de matières grasses ou moins et le fromage contenant 6 % de matières grasses ou moins, ou au minimum 25 % de matières grasses en moins par rapport à sa version ordinaire).
  • Produits laitiers à pleine teneur en matières grasses : Produits à teneur plus élevée en gras ou entiers.

Gras laitier et risque de MCV : que disent les données?

Conclusions d’études épidémiologiques

Une revue systématique de méta-analyses publiée en 2016 a révélé que la consommation de produits laitiers, tant ceux à pleine teneur qu’à faible teneur en matières grasses, était associée de manière neutre ou favorable aux événements cardiovasculaires, sur la base de données de qualité modérée à élevée. Il est important de noter qu’aucun produit laitier à lui seul n’était associé à un risque accru de MCV2.

 
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Depuis, plusieurs autres méta-analyses et études prospectives de haute qualité, comme la vaste étude de cohorte observationnelle multinationale PURE (Prospective Urban Rural Epidemiology), ont renforcé ces associations favorables ou neutres3-8. Par exemple, l’étude PURE a révélé une association bénéfique ou neutre entre la consommation de produits laitiers totaux et le risque de MCV (y compris les accidents vasculaires cérébraux et les maladies coronariennes). Ces conclusions concordent avec celles d’autres études ne montrant aucune association entre la consommation de produits laitiers et la mortalité globale ou l’incidence du diabète de type 2, un facteur de risque connu de MCV3-5,9.

 
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Les auteurs notent que, bien que certaines études aient fait état d’une légère augmentation du risque de maladie coronarienne liée à une consommation plus élevée de lait à pleine teneur en gras, ces résultats reposent sur un petit nombre d’études présentant des limites notables, telles qu’une petite taille d’échantillons et une hétérogénéité marquée. De plus, ces données sont en contradiction avec les effets favorables observés sur l’hypertension, l’athérosclérose, les accidents vasculaires cérébraux et d’autres événements de MCV. Dans l’ensemble, les experts affirment que les données restent trop limitées et incohérentes pour justifier des recommandations nutritionnelles distinctes pour les produits laitiers à pleine teneur comparativement à ceux à faible teneur en matières grasses en contexte de prévention des MCV.

 
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Principales considérations

La plupart des données sur les produits laitiers et la santé cardiovasculaire proviennent de populations européennes et nord-américaines, où la consommation de produits laitiers est généralement modérée ou élevée. Cependant, l’étude PURE a révélé qu’une consommation plus élevée de produits laitiers entraînait des avantages cardiovasculaires équivalents dans les régions à forte et faible consommation. Dans les populations où la consommation est moins élevée, comme en Asie de l’Est, des associations plus fortes ont été observées entre le lait et une réduction du risque d’accident vasculaire cérébral, ce qui souligne que davantage de recherches mondiales sur les relations dose-effet sont requises3.

Les auteurs affirment que dans les études épidémiologiques, il faudrait éviter de regrouper les produits laitiers en fonction de leur teneur en gras ou en une seule catégorie, car cela revient à négliger qu’il s’agit d’aliments fondamentalement différents et crée des incohérences qui compliquent les comparaisons. Par exemple, l’expression « à faible teneur en gras » désigne souvent des pourcentages de gras différents selon les produits, allant de 0 à 1 % pour le lait et de 5 à 25 % pour le fromage. Par ailleurs, les modèles de substitution, qui remplacent souvent les gras saturés par des gras polyinsaturés, pourraient négliger les effets distincts sur la santé des produits laitiers entiers et leur profil nutritionnel global.

 
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Conclusions issues d’études randomisées

Bien que les études randomisées à long terme sur les produits laitiers et les événements cardiovasculaires fassent défaut en raison de défis logistiques, les études à court terme offrent des perspectives utiles sur les effets de la consommation de produits laitiers sur d’importants facteurs de risque. Plusieurs méta-analyses d’études randomisées ont révélé que la consommation de produits laitiers à pleine teneur en gras ne fait pas augmenter les taux de cholestérol total ni de cholestérol LDL. Leurs principales conclusions sont les suivantes :

  • La consommation de produits laitiers à pleine teneur et à faible teneur en gras n’avait pas d’effet sur les taux de cholestérol HDL ou de triglycérides, par rapport à une consommation minimale ou nulle de produits laitiers10-12.
  • Malgré des profils lipidiques similaires, les fromages à pâte dure et demi-ferme diminuaient les taux de cholestérol total et de cholestérol LDL comparativement au beurre13-15.
  • Une consommation plus élevée de produits laitiers, peu importe leur teneur en gras, n’a aucun effet sur la plupart des marqueurs cardiométaboliques non lipidiques, dont le poids et la composition corporelle, la tension artérielle, le contrôle glycémique et l’inflammation – bien que certaines études suggèrent des effets anti-inflammatoires mineurs10,12,16-18.
  • Avec la diète DASH, les produits laitiers à pleine teneur et à faible teneur en gras entraînaient des réductions similaires de la tension artérielle19.
 
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Bien que certaines études randomisées suggèrent que la consommation de produits laitiers a des effets mineurs sur la régulation du glucose, ces changements ne semblent pas augmenter le risque de diabète de type 2 dans les études à long terme5,9. Le yogourt probiotique a toutefois été associé à une amélioration des marqueurs glycémiques et la Food and Drug Administration (FDA) a récemment reconnu des données faisant un lien entre une consommation plus importante de yogourt, peu importe sa teneur en gras, et une réduction du risque de diabète. Des études supplémentaires sont nécessaires pour déterminer si les produits laitiers à pleine teneur et à faible teneur en gras ont des effets différents sur les lipides sanguins20.

 
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Principales considérations

Les études randomisées et les études d’observation ne révèlent aucune différence significative quant aux marqueurs de risque cardiovasculaire entre les produits laitiers à pleine teneur et à faible teneur en gras. Le panel d’experts a souligné les limites des études randomisées actuelles sur les produits laitiers et le risque de MCV, notamment la taille des échantillons et les courtes durées d’intervention, qui devraient être prises en compte dans les études à venir.

Données sur les effets de la matrice laitière sur les mécanismes biologiques

L’évaluation précise de la relation entre la consommation de produits laitiers et le risque de MCV doit tenir compte de la nature unique et complexe des produits laitiers. La matrice laitière, qui comprend la composition en nutriments, la structure des lipides, la matrice alimentaire supramoléculaire et les peptides bioactifs, agit en synergie et influence des processus tels que la digestion, le métabolisme des lipides, la signalisation intestinale et les réponses lipidiques postprandiales d’une manière qui transcende les effets isolés de ces nutriments. Ces interactions pourraient contribuer à expliquer l’impact généralement neutre des produits laitiers sur la santé cardiométabolique. Ainsi, le panel d’experts a réaffirmé que classer les produits laitiers uniquement en fonction de leur teneur en gras saturés néglige de tenir compte de la diversité et de la complexité fonctionnelle de ces aliments.

 
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Alors que la plupart des données actuelles proviennent d’études chez les animaux et in vitro, les données issues d’études randomisées chez les humains sont émergentes, mais encore limitées, ce qui souligne la nécessité de poursuivre les recherches pour confirmer ces mécanismes chez l’humain.

Principaux messages à retenir et recommandations

Les auteurs notent que le fait de ne plus se concentrer uniquement sur les acides gras saturés (AGS), mais sur les modèles d’alimentation dans leur ensemble constitue une approche plus efficace pour promouvoir la santé du cœur. Sans substitution intentionnelle, les recommandations générales visant à limiter l’apport en AGS pourraient entraîner des diminutions non intentionnelles d’apports en nutriments clés, notamment en calcium, en vitamine D, en iode et en vitamine B12. Une approche davantage fondée sur les aliments pour ces lignes directrices pourrait contribuer à atténuer ces carences en nutriments, tout en favorisant la santé cardiovasculaire.

EN PRATIQUE

Même si elle est courante dans les lignes directrices en matière d’alimentation partout dans le monde, les panélistes experts soulignent que la recommandation de choisir des produits laitiers à faible teneur plutôt qu’à pleine teneur en gras pour réduire l’apport en gras saturés « n’est pas fondée sur des données scientifiques » et pourrait détourner l’attention de recommandations nutritionnelles plus significatives.

Une étude menée en 2015 auprès de la population canadienne a révélé que remplacer des aliments non laitiers riches en AGS par des options à faible teneur en AGS et à forte teneur en gras insaturés entraînait la plus grande diminution prévue de l’apport en AGS, 82 % de la population respectant la limite de < 10 % de l’apport énergétique total en AGS21. Selon les auteurs, la réduction de l’apport en AGS provenant d’aliments tels que les pâtisseries, les collations salées et les viandes transformées industriellement ou non transformées, plutôt que des produits laitiers, est une stratégie plus efficace pour réduire l’apport global en AGS, tout en réduisant l’apport en aliments denses en énergie et pauvres en nutriments.

Globalement, les données actuellement disponibles chez les adultes ne soutiennent pas la distinction entre les produits laitiers à faible teneur comparativement à ceux à pleine teneur en gras dans les recommandations nutritionnelles. Elles suggèrent plutôt ce qui suit :

  1. Les lignes directrices en matière d’alimentation pour les adultes devraient privilégier les approches fondées sur les aliments qui réduisent plus efficacement l’apport en AGS au sein de la population. Par exemple, remplacer les aliments denses en énergie et pauvres en nutriments, qui sont les principales sources d’AGS.
  2. Les produits laitiers, quelle que soit leur teneur en gras, peuvent bien s’intégrer dans une saine alimentation qui privilégie les grains entiers et les aliments d’origine végétale minimalement transformés, tout en limitant les AGS provenant des aliments et des viandes transformés industriellement. Cela se traduira inévitablement par des baisses importantes de l’apport en AGS au sein de la population.
  3. Des études supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre comment les modèles d’alimentation qui incluent différents types de produits laitiers à teneur variable en gras sont liés au risque de MCV dans diverses populations présentant des profils de risque différents.
 
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