Afin de mettre au point des stratégies de prévention et d’intervention précoce plus efficaces, il est essentiel de mieux comprendre l’étiologie du cancer, en particulier ses liens avec l’alimentation. Bien que le cancer colorectal figure au 3e rang parmi les cancers les plus fréquents dans le monde, il existe encore des lacunes importantes dans la compréhension de l'influence des différents aliments sur le risque de cancer colorectal.
En réponse à cette lacune dans la recherche, une étude prospective regroupant 542 778 femmes (âge moyen de 56 ± 6 ans) du Royaume-Uni a analysé systématiquement 97 facteurs alimentaires en relation avec le risque de cancer colorectal1. Les participantes ont été suivies pendant une moyenne de 16,6 ans (± 4,8), au cours desquels 12 251 femmes ont développé un cancer colorectal. Les participantes ont rempli un questionnaire alimentaire détaillé, et environ 37 994 d’entre elles (environ 7 %) ont fourni au moins une évaluation alimentaire de 24 heures supplémentaire. Parallèlement, une analyse de randomisation mendélienne de la consommation de lait a été réalisée à partir de données issues de divers registres internationaux, tels que la ColoRectal Transdisciplinary Study, le Colon Cancer Family Registry et le Genetics and Epidemiology of Colorectal Cancer Consortium (GECCO). La randomisation mendélienne est une méthode de recherche qui utilise des variantes génétiques pour évaluer si une relation entre un facteur de risque et un résultat est causale.
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Cliquez iciSur les 97 facteurs alimentaires étudiés, 17 ont été associés au risque de cancer colorectal.
Facteurs alimentaires liés à une diminution du risque de cancer colorectal
Calcium et produits laitiers
Parmi les plus fortes associations observées, le calcium était fortement lié à un risque réduit de cancer colorectal; une réduction du risque de 17 % a été observée par tranche de 300 mg/jour d’apport en calcium. De façon similaire, une réduction du risque de cancer colorectal de 14 % a été observée par portion de 200 g/jour de lait consommée. Ces résultats ont été corroborés par l’analyse de randomisation mendélienne, qui a associé une consommation de 200 g/jour de lait à une :
- Réduction de 40 % du risque de cancer colorectal et de cancer du côlon;
- Réduction de 51 % du risque de cancer du rectum.
Ce résultat est particulièrement important, car la randomisation mendélienne est souvent utilisée pour détecter une relation de cause à effet et reflète mieux les effets et les habitudes à long terme, alors que les questionnaires d’apports alimentaires reflètent les habitudes alimentaires à court terme.
Des associations inverses bénéfiques ont également été observées avec d’autres produits laitiers, par exemple le yogourt, et des nutriments souvent présents dans les produits laitiers (p. ex. riboflavine, phosphore, potassium et magnésium). Une analyse plus poussée a révélé que l’apport en calcium était associé de manière indépendante à une diminution du risque de cancer colorectal, ce qui suggère que le calcium joue un rôle dans l’effet protecteur des produits laitiers sur la prévention du cancer colorectal. De plus, bien que des sources de calcium laitières et non laitières aient été associées à une réduction du risque, les sources laitières ont démontré une réduction plus forte et statistiquement significative du risque de cancer colorectal. Cela souligne l’importance de prendre en compte la matrice laitière pour comprendre le rôle protecteur des produits laitiers. Les effets des suppléments de calcium seuls n’ont pas été évalués dans cette étude.
Dans l’ensemble, ces résultats renforcent la position du Fonds mondial de recherche contre le cancer (FMRC) et de l’American Institute for Cancer Research, qui indiquent qu’il est probable que les produits laitiers jouent un rôle protecteur fort dans la réduction du risque de cancer colorectal2.
Les mécanismes potentiels
Plusieurs mécanismes ont été attribués aux effets protecteurs du calcium sur le risque de cancer colorectal :
- La liaison aux acides gras libres et aux acides biliaires dans le côlon, qui réduit leurs effets carcinogènes potentiels;
- La diminution de la perméabilité du côlon et la protection de la paroi intestinale contre les dommages causés par le contenu luminal tel que les acides biliaires;
- La promotion de la différenciation des cellules épithéliales dans le côlon;
- La réduction des dommages oxydatifs à l’ADN;
- Le renforcement de l’apoptose.
Au-delà du calcium, d’autres composés qui forment la matrice laitière, dont la riboflavine, le phosphore, le potassium, le magnésium, l’acide linoléique conjugué, l’acide butyrique et la sphingomyéline, pourraient également contribuer à ses effets protecteurs. Plus précisément, il a été démontré que les 3 derniers inhibent la carcinogenèse du côlon chimiquement induite dans des modèles animaux.
Autres facteurs alimentaires et leurs mécanismes potentiels
Une association modeste a été observée entre une consommation plus élevée de céréales à déjeuner, de fruits, de grains entiers, de glucides, de fibres, de sucres totaux, de folate et vitamine C et un risque réduit de cancer colorectal. Toutefois, les auteurs notent que plusieurs de ces associations pourraient avoir été influencées par d’autres facteurs liés à l’alimentation ou au mode de vie.
Une hypothèse est que les grains entiers et les fibres alimentaires, particulièrement, jouent un rôle significatif dans bon nombre des effets protecteurs énumérés ci-dessus. Les grains entiers, qui sont riches en fibres, pourraient réduire le risque de cancer colorectal en gonflant les selles, ce qui diminue la durée du transit intestinal et dilue les substances carcinogènes dans le côlon. Par ailleurs, la fermentation des fibres alimentaires produit des acides gras à chaîne courte dans le côlon, ce qui diminue le pH intestinal et réduit la prolifération cellulaire en inhibant la conversion des acides biliaires.
Facteurs alimentaires liés à un risque accru de cancer colorectal
Viande transformée et viande rouge, et mécanismes potentiels
La consommation de viande transformée et de viande rouge a été liée à un risque plus élevé de cancer colorectal, le risque s’accroissant de 8 % par tranche de 30 g/jour consommée. Ce chiffre est nettement plus élevé que la hausse de 12 % du risque par tranche de 100 g/jour observée dans la méta-analyse de 2018 du FMRC3. Bien que la viande rouge et la viande transformée aient toutes deux montré des associations positives avec le risque de cancer colorectal, les auteurs observent que l’association positive est plus marquée avec la viande transformée. Cela se reflète également dans la recommandation du FMRC, qui est de privilégier une consommation modérée de viande rouge (350-500 g de viande rouge cuite/semaine) et d’opter pour des coupes de viande plus maigres dans le cadre d’une alimentation saine et équilibrée4.
Les auteurs notent que cette association positive pourrait être due à la présence de fer hémique, qui peut catalyser la formation de composés N-nitroso, lesquels pourraient induire des mutations dans le côlon. D’autres facteurs potentiels incluent la cuisson de la viande à haute température, qui produit des amines hétérocycliques et des hydrocarbures aromatiques polycycliques, le fumage de la viande et l’utilisation de nitrites/nitrates de sodium pour la conservation, qui pourrait entraîner la formation de composés N-nitroso exogènes.
Alcool et mécanismes potentiels
Parmi les associations les plus fortes observées, l’alcool a été positivement lié au risque de cancer colorectal. Cette étude a révélé un risque accru de 15 % de cancer colorectal par tranche de 20 g d’alcool consommés par jour, ce qui correspond aux conclusions de la méta-analyse de la relation dose-effet du FMRC de 2018 et à de nombreuses études de randomisation mendélienne menées sur des adultes d’ascendance asiatique et européenne3,5-7.
Il est présumé que la production d’acétaldéhyde, un sous-produit mutagène à des concentrations élevées, pourrait perturber la réparation désoxyribonucléique (ADN) dans les tissus humains et les études animales, en plus d’augmenter la production d’espèces réactives de l’oxygène carcinogènes.
Bien que les auteurs reconnaissent certaines limites, telles que l’absence de généralisabilité au-delà des femmes d’âge moyen d’ascendance européenne et l’impossibilité d’examiner des produits alimentaires spécifiques, cette étude à grande échelle renforce les données existantes bien établies révélant les effets protecteurs des produits laitiers sur le risque de cancer colorectal.
Références
- Papier K et coll. Diet-wide analyses for risk of colorectal cancer: prospective study of 12,251 incident cases among 542,778 women in the UK. Nature communications 2025;16(1):375.
- American Institute for Cancer Research. 2020. Colorectal cancer. Consulté le 9 janvier 2025.
- World Cancer Research Fund & American Institute for Cancer Research. Diet, nutrition, physical activity, and the prevention of colorectal cancer. AICR. 2018.
- World Cancer Research Fund. Meat and cancer. Consulté le 4 février 2025.
- Zhou X et coll. Alcohol consumption, DNA methylation and colorectal cancer risk: Results from pooled cohort studies and Mendelian randomization analysis. International journal of cancer 2022;151(1), 83–94.
- Li Y et coll. Alcohol consumption and colorectal cancer risk: A mendelian randomization study. Frontiers in genetics 2022;13, 967229.
- Cornish A et coll. Modifiable pathways for colorectal cancer: a mendelian randomisation analysis. The lancet. Gastroenterology & hepatology 2020;5(1), 55–62.